Il y a trois ans tout rond, j’ai créé un compte Instagram, guidée par une idée qui m’était venue dans l’eau chlorée : “Tu vas nager dans toutes les piscines municipales parisiennes, et tu vas raconter cette expérience.” Je m’étais donné un an pour les découvrir toutes. J’avais rédigé la phrase suivante pour présenter le projet : “À la recherche de la meilleure piscine parisienne, en toute subjectivité.”
Au fond, je ne suis pas sûre d’y avoir cru, à cette quête. Ça m’était bien égal, de distribuer des palmes, et puis j’ai très vite senti que je les aimais toutes – ou presque –, furieusement, chacune pour sa singularité, ses couleurs, son atmosphère, et tout ce qu’elle m’apportait. Mais il me semblait que cette histoire de “meilleure” était ce qu’on attendait de moi. Qu’il fallait qu’à la fin, je décerne une récompense.
Il m’a finalement fallu trois ans pour boucler le tour des 41 piscines municipales parisiennes. J’ai aimé ne pas me presser, les savourer, prendre mon temps pour explorer leur histoire. J’ai même envisagé de ne jamais terminer. De repousser encore et encore la dernière, pour que ce projet soit sans fin. Mais ça y est. Je les ai toutes nagées.
Alors… Je ne suis pas en mesure de vous dire quelle est la meilleure piscine parisienne. En revanche, je peux aujourd’hui ouvrir mon cabinet de Piscicologue. Vous pouvez d’ailleurs m’appeler Dr Napa.
Le jour du rendez-vous, à l’heure dite, vous arrivez dans le cabinet. Je vous invite à vous installer en face de moi, de l’autre côté du bureau. La première question que je vous pose, c’est : “Décrivez-moi votre maillot.”
Ensuite, je vous questionne sur votre rapport à l’eau et à la nage. Je vous demande à quelles couleurs vous êtes sensible, et quel genre d’énergie vous traverse.
Quand j’estime disposer de suffisamment de matière, j’attrape l’épais cahier posé sur mon bureau, à gauche. J’y ai collé toutes les photos des piscines parisiennes que j’ai collectées ces trois dernières années ; j’ai même annoté certains des clichés. Beaucoup de carreaux de faïence. Des casiers jaunes, rouges, bleus, blancs. Des douches austères, d’autres accueillantes. Quarante-et-une nuances de bleu. Ces photos, je les connais par cœur. Les regarder me sert surtout à mettre en scène l’information que je m’apprête à vous délivrer : le nom de la piscine qui me semble faite pour vous, là, à ce moment de votre vie.
Aux cœurs chagrins, je recommande le jaune orpiment et le bois chaleureux de la piscine Thérèse et Jeanne Brûlé.
Aux nageur·euses déterminés qui aiment qu’on leur résiste, je suggère Keller, la seule piscine sur laquelle j’ai buté, tout en étant convaincue qu’un jour, on se rencontrerait. Je prescris Georges Hermant à celleux qui veulent être poussés dans leur retranchements et nager mieux que jamais. Peut-être que je me permettrais de leur raconter que c’est là-bas que j’ai récolté la plus belle collection de battements, et la plus grande frousse de ma vie.
Je recommande… Pontoise aux personnes en quête de réconfort, pour les cabines rassurantes et l’étreinte de l’eau chaude ; Didot à celleux que la foule rebute, parce que cette piscine de poche semble avoir été oubliée par les Parisien·nes.
Aux amoureux·ses officieux·ses en quête de recoins, je suggérerai la cinématographique piscine des Amiraux, et je réserve Aspirant Dunand à celleux qui comptent sur la piscine pour rencontrer l’amour.
Aux nostalgiques de l’océan, je recommande la souterraine Valeyre et son bestiaire aquatique. Aux angoissé·es du lundi, je prescris Catherine Lagatu. Aux personnes qui aiment nager mais n’aiment pas le chlore, je pointe Jacqueline Auriol, en les mettant toutefois en garde : “Là-bas, les douches ne préservent d’aucun regard.”
À celleux qui rêvent d’une nage grandiose, quasi religieuse, je parle de Suzanne Berlioux et de ses voûtes en béton, comme une matrice. À celleux qui voudraient une nage hygiénique, irréprochable, et n’auraient pas peur de se cogner les genoux sur la fond de la piscine, je prescris Marie Marvingt.
Je réserve la piscine Saint Germain et son amoncellement d’ornements à celleux qui trouvent leur quotidien éteint.
Aux nageur·euses qui aiment les questions sans réponses, je conseille Georges Rigal, et Jean Boiteux aux personnes suffisamment solides pour apprécier les expériences, disons… différentes. Aux personnes qui n’ont plus foi en l’humanité, je préconise Château des Rentiers, pour les bonnes manières de ses nageur·euses, ou Henry de Montherlant, parce que là-bas, tout le monde laisse ses chaussures dans la zone de déchaussage.
À celleux qui aimeraient que leurs nages ressemblent à des marches en forêt, je suggère Dunois, pour la fresque boisée de Maurice Calka et la vue sur la végétation, de l’autre côté de la baie vitrée.
J’envoie les personnes en manque de grand large chez Joséphine Baker. Quand je tombe sur quelqu’un qui rêverait de vivre dans la Californie des années 1960, direction La Plaine.
Armand Massard… je cherche encore à qui je la recommande. Peut-être un·e joueur·euse de water-polo qui aurait perdu le sens de la vie et aurait besoin de se remettre sur les rails. Idem pour Mathis, que je ne comprends pas encore assez pour pouvoir la conseiller.
J’évoque Blomet auprès des amateur·rices de perfection, d’eau limpide et de grands espaces, ou Drigny, pour celleux qui préfèrent sentir les contours de leur bassin parfait.
Les nageur·euses en quête d’aspérités et d’atmosphère de comptoir de café du coin iront nager à Bertrand Dauvin. Je réserve Rouvet aux amateur·rices de science-fiction, de mosaïques audacieuses et de superpositions d’atmosphères.
Je prescris Yvonne Godard aux personnes en manque de lumière du jour – et je leur glisse toujours un mot sur Yvonne, cette nageuse à la carrure impressionnante et à la vie mystérieuse. Je conseille Champerret – désormais Marjorie Gestring – à celleux qui voudrait se rafraîchir les yeux sur des verts et des bleus bien choisis pour redécouvrir le plaisir simple de nager, et Bernard Lafay aux nageur·euses fourbu·es en quête d’exotisme et de douceur.
En parlant de Pailleron, je m’impose la transparence. Oui, cette piscine semble avoir une beauté évidente, mais non, je n’ai jamais réussi à m’y attacher. Peut-être y serez-vous sensible ? C’est tout de même un monument historique.
À celleux qui veulent voir le miracle qui se produit, quand une architecte fait entrer la lumière dans une jolie piscine des années 70, je prône Mourlon. À ma connaissance, c’est la seule piscine parisienne sur laquelle une femme ait œuvré, pour une restructuration de grande ampleur.
À l’occasion, une personne viendra me voir avec une idée précise : “Je veux impressionner quelqu’un.” Je suggérerai alors Émile Anthoine pour son vis-à-vis époustouflant sur la tour Eiffel, ou La Butte aux Cailles, parce que, je l’avoue, elle a bien mérité sa réputation de plus belle piscine de Paris.
Auprès des nostalgiques qui voudraient nager dans des lieux où le temps s’est arrêté, je mise sur Jean Taris, ou Auteuil, pour son charme suranné, l’allure désuète de ses vestiaires et ses lignes vides.
Aux amateurs·rices de vieilleries, je parle de Hébert, l’une des plus vieilles piscines parisiennes, si bien soignée, au fil des décennies, que rien ne laisse deviner son âge. Mais en se concentrant bien, on ressent son vécu en nageant dans son eau claire.
Et puis… si je sens qu’un lien de confiance s’est tissé entre vous et moi, je vous glisserai cinq noms, en précisant que ces piscines ne sont pas forcément les plus belles, ni les plus incroyables, mais qu’elles m’ont accueillie et changée.
Je vous parlerai d’abord de Château Landon, encore fermée pour travaux. Je vous dirais : pour s’y mettre, rien de tel que son atmosphère de paquebot élégant, ses couleurs primaires et sa clarté.
Je vous soufflerai d’aller nager à La Cour des lions, d’émerveiller vos yeux sur ses détails, puis de finir votre séance en montant à l’étage pour contempler le bassin depuis l’un des hublots.
Je vous recommanderai de vous approcher du périphérique, pour atteindre la piscine Roger Le Gall, idéalement entre mai et septembre, quand elle est découverte. Je vous suggérerai de ne pas vous laisser refroidir par les vestiaires, disons, dans leur jus. Et de vous attacher aux touches de couleurs qui bordent le bassin, le bleu, la terre cuite au sol. Et la fresque, au fond, l’avez-vous déjà seulement regardée ? Approchez-la. Touchez-la, même.
Je vous préconiserai d’aller à Alfred Nakache, le matin pour détailler les habitué·es, à l’heure du déjeuner pour le soleil dans l’eau, et à toute heure de la journée pour les sourires. Je vous inviterai à être attentif·ves à l’atmosphère de complicité qui règne dans dans la zone de déchaussage, parfois sans qu’un seul mot soit échangé.
Je vous conseillerai Georges Vallerey, en vous encourageant, pendant votre nage, à rêver au trésor que recèle son sous-sol. Je vous inciterai à prendre votre temps, après la nage, pour vous laisser aller à la torpeur de ses douches non mixtes.
À la fin du rendez-vous, vous repartirez sans rien payer – les rendez-vous chez la piscicologue sont pris en charge par la Sécurité sociale. Certains·es d’entre vous seraient dubitatifs, “Je sais pas si j’y crois, à son truc. Une piscine, c’est une piscine, faut pas exagérer.” D’autres se dépêcheraient de trouver le temps d’explorer la piscine recommandée.
Un jour, un patient sur le point de quitter le cabinet se tournera vers moi : “Comment vous envisagez la suite de votre quête, maintenant que vous avez nagé toutes les piscines parisiennes ?”
Je lui répondrai que ce n’est pas une quête, mais une expérience. Que j’ai compris que cette histoire de piscines parisiennes n’était qu’un prétexte pour assumer mon obsession. Maintenant, j’ai des rêves de piscines plein la tête, à Bordeaux, Malakoff, Toulon, Lyon, Trouville, Bruxelles, Berlin, Copenhague, Belmullet… Sans compter toutes celles dont j’ignore encore l’existence.
Ce que je préfère, dans cette histoire, c’est penser à la somme de hasards qui feront que je nagerai dans telle piscine et jamais dans telle autre. Et me rappeler qu’il n’y aura jamais de fin à cette exploration.
Je vous laisse, l’eau m’appelle
Napa
Visiter toutes les piscines parisiennes est également un objectif auquel j’ai pensé - comme les musées et les expos temporaires me font retourner dans une liste courte. Cet article me rappelle l’envie ; je passe à vélo devant Rouvet souvent et je ne me suis pas encore arrêtée… J’ai un joli souvenir de Barcelone piscine olympique. Merci pour cet article et votre écriture 🙏🏿🏊🏻♀️
Merci pour cette quête, plus Perceval -curieux et ouvert- que Galaad- inflexible et tendu vers son but-. J’ai tellement aimé suivre ces trois années. Keller a été ma première piscine parisienne, une piscine de khâgneuse dure à la tâche et à la tête un peu dure. Vallerey fut la dernière, une piscine douce, même avant sa rénovation, qui m’a rappelé les joies de nager pour soi. Que ces piscines ouvrent et closent ce post est un joli clin d’œil.