Il est 6h20. Je viens de me lever, sans avoir mis de réveil. Je soupçonne la marée – et la Lune, donc – de me réveiller tôt les matins où la mer est haute. Dans ces moments-là, j’ai souvent l’impression que l’océan murmure mon prénom pour m’attirer à lui.
J’ai beau être encore chiffonnée par la nuit, quand l’océan m’appelle, je ne dis jamais non. Alors j’enfile mon maillot de bain et j’y vais.
À cette heure-là du matin, il fait étrangement doux. La fraîcheur viendra un peu plus tard. Le froid de l’eau me saisit quand je m’y plonge toute entière. J’aime y aller d’un coup, sans tergiverser. J’ai demandé à chacune de mes amies quelle partie de son corps elle trouvait la plus difficile à immerger, quand l’eau est froide. “Le ventre”, m’a dit l’une, “les seins !” s’est exclamée une autre. La troisième m’a montré ses épaules en grelottant, et la quatrième a avoué : “Franchement… Tout.”
En manque de caresses
L’eau est claire comme jamais. Je n’ai plus pied, mais je vois distinctement les dunes ondulées du sable, au fond. Je jette un œil à la plage, personne. Pas de pêcheur sur les rochers non plus. Je retire mon maillot et l’enroule autour de mon poignet.
Je me tourne et me retourne dans l’océan. Je sens l’eau se glisser tout autour de moi, m’embrasser de ses membres liquides, m’étreindre sans oublier aucune parcelle de peau. À quelqu’un·e qui se sentirait en manque de caresses, je recommande un corps à corps avec l’eau. J’en ferais même des ordonnances, si j’étais médecin et qu’on m’appelait “Docteur Napa”. Sur le papier blanc, avec un stylo-plume, je noterais cette prescription : “Aller dans l’eau au moins une fois par semaine. Mer, lac ou piscine.”
L’eau ne fait pas de distinctions, elle se moque du poids, de la couleur, des effets du temps, des handicaps. Elle aime tous les corps. Elle les effleure d’abord, puis les enlace, les enrobe, glisse le long de chaque courbe de la peau, chaque repli, même les plus osés. Elle joue de ses températures, appelle le froid des profondeurs pour saisir la peau et le cœur, et réveiller des zones dont on avait oublié l’existence.
Le goût du sel et quelques frissons
Après de longues minutes à nager, à m’appuyer sur l’eau pour mieux en sentir la puissance, je me laisse bercer, sur le dos, par les ondulations du liquide salé. Le froid commence à m’engourdir. Je me décide à rejoindre le rivage. Je me tortille pour remettre mon maillot, me dirige lentement vers l’endroit où les vagues se brisent. Alors que je suis sur le point d’être totalement émergée, un frisson m’incite à faire demi tour pour une ultime étreinte. Pourquoi faut-il sortir, déjà ?
Ah oui, c’est vrai. Pour partager ce plaisir avec vous. Et pour sentir à quel point les caresses de l’eau prodiguent leurs effets bien après la nage.
Une, deux, trois heures passent. Le roulis des vagues dans ma tête s’estompe. Je me sens bien dans mon corps de nageuse. Chacun de mes muscles porte la trace de ces mouvements répétés à l’infini dans l’eau. Ma peau a gardé le goût du sel, et quelques frissons aussi.
De quoi tenir jusqu’à ce que j’y retourne.
Jusqu’à ce que, de nouveau, l’eau m’appelle
Napa